Le temps de la démocratie parlementaire
Proposition de loi visant à instituer la motion de censure constructive à l’Assemblée nationale
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Le régime politique de la Ve République a fonctionné jusqu’à présent, au moins en pratique, selon le principe du fait majoritaire, qui présume l’existence d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale pour former un gouvernement stable. Le plus souvent, celle-ci était à la disposition du Président de la République. Un tel fonctionnement est ainsi tributaire de l’existence d’une majorité parlementaire forte, donc du choix des électeurs lors des élections législatives. Or, dans un paysage politique fragmenté, rien ne garantit que ces dernières, fussent-elles organisées au scrutin uninominal dit « majoritaire », déboucheront nécessairement sur l’avènement d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le résultat des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 en atteste.
Un régime politique efficace est un régime capable de s’adapter à toutes les situations politiques issues du choix du corps électoral. En l’occurrence, la probabilité de placer tout gouvernement qui serait nommé sous la menace permanente d’une motion de censure faute de majorité absolue pour le soutenir présente un véritable risque d’instabilité gouvernementale et parlementaire.
A cet égard, la situation politique de la Ve République pourrait s’apparenter à celle de la IVe République, où, du fait des motions de censure à répétition, la durée de vie moyenne d’un gouvernement était de six mois.
Pourtant, il existe une solution simple : la motion de censure constructive.
La motion de censure constructive est une motion de censure qui doit automatiquement prévoir un chef de gouvernement pour remplacer celui qu’elle propose de renverser. Elle présente deux vertus. D’une part, elle garantit la stabilité gouvernementale et parlementaire en évitant les « coalitions des contraires » qui se constitueraient de manière uniquement destructive, en renversant un gouvernement tout en étant incapables d’en investir un autre à la place. D’autre part, elle favorise la démocratie parlementaire, en confiant le choix politique du Premier ministre aux députés, et non pas au Chef de l’Etat (bien que ce dernier garde formellement le pouvoir de nomination).
Un tel mécanisme existe dans nombre d’États membres de l’Union européenne, parmi lesquels l’Allemagne et l’Espagne. A titre d’exemple, M. Helmut Kohl, chancelier fédéral d’Allemagne de 1982 à 1998, ou M. Pedro Sanchez, actuel président du gouvernement espagnol depuis 2018, sont parvenus au pouvoir à la suite de l’adoption d’une motion de censure constructive.
En France également, le principe de la motion de censure constructive est défendu de longue date. Ainsi, sous la IIIe République, dans un article paru le 6 mai 1888 dans La Dépêche, Jean Jaurès réclamait que la Chambre des députés ne puisse renvoyer le président du Conseil qu’à la condition « qu’un homme politique nouveau représentant une politique déterminée, investi par la Chambre d’un mandat défini, soit (…) désigné par elle ». La motion de censure constructive s’applique déjà en France, sous différentes formes, à l’assemblée de la Polynésie française, à l’assemblée de Martinique.
En revanche, la motion de censure constructive n’est prévue ni par les deuxième et troisième alinéas de l’article 49 de la Constitution ni par son article 50, relatifs à la motion de censure à l’Assemblée nationale. Une révision constitutionnelle impliquerait une procédure lourde. Toutefois, il ne paraît pas indispensable d’introduire la motion de censure constructive dans la Constitution pour pouvoir l’appliquer.
En effet, le régime juridique régissant la motion de censure à l’Assemblée nationale n’est pas défini que par les dispositions constitutionnelles. Celles-ci sont complétées, par exemple, par des mesures prévues dans le règlement de l’Assemblée nationale, comme l’interdiction pour un député de signer plusieurs motions de censure à la fois ou la possibilité de motiver une motion de censure (article 153 du règlement de l’Assemblée nationale). Or le Conseil constitutionnel, qui est automatiquement saisi de toute modification du règlement de l’Assemblée nationale, n’a pas jugé qu’il était contraire à la Constitution d’apporter des précisions complémentaires s’agissant de la motion de censure. Il paraît donc possible d’ajouter une nouvelle précision, aux termes de laquelle les signataires d’une motion de censure doivent indiquer le nom du candidat qu’ils proposent pour remplacer le Premier ministre.
Pour des raisons de clarté et de force juridiques, il serait préférable d’introduire une telle mention non pas au sein du règlement de l’Assemblée nationale, mais dans un texte de rang normatif supérieur. Or le texte juridique de niveau législatif qui régit le fonctionnement des assemblées parlementaires est l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
C’est la raison pour laquelle l’article unique de la présente proposition de loi vise à compléter l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, en insérant un nouvel article tendant à introduire la motion de censure constructive à l’Assemblée nationale.
Proposition de loi
Article unique
L’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complétée par un article 4 octies ainsi rédigé :
« Article 4 octies. – Toute motion de censure présentée à l’Assemblée nationale précise le nom du candidat aux fonctions de Premier ministre proposé par les signataires. »